Voici la nouvelle qui m'a valu de gagner le deuxième concours de "Poesie ohne Rückkehr". Le thème était le poème de Till Lindemann "Ich habe dich im Traum gesehen".
N'hésitez pas à me dire ce que vous en pensez.
« Mr Lindemann ?
- Oui ?
- Je peux prendre une photo avec vous ?
- Non, pas de photo. »
Le jeune homme repart un peu dépité mais je m’en fous.
C’est déjà un effort surhumain pour moi de venir faire une dédicace pour mon
bouquin, d’être seul face à une bande de fanatiques qui me regarde comme une
bête de foire. La plupart du temps je ne les regarde même pas, je prends le
Messer qu’ils me tendent et le signe en écoutant leurs jérémiades.
« Merci pour tout ce que vous faites Till. Vous avez un
talent extraordinaire.
- Merci mademoiselle.
- Vos poèmes sont magnifiques. Les textes de vos chansons
aussi ! »
Je relève la tête, regarde cette fille et vois qu’elle n’est
pas prête à s’éloigner de moi. Elle me regarde comme si j’étais le Saint Graal
et ne cache pas son désir de se jeter sur moi. Elle doit avoir quoi, 20
ans ? Malgré mon habitude de me faire aguicher par des jeunes filles qui
ont la moitié de mon âge, je trouve ça toujours assez perturbant. Quand j’avais
20 ans je n’avais pas de succès avec les nanas, et maintenant 25 ans après, je
peux avoir les plus jolies filles du monde juste parce que je suis
« célèbre » dans mon milieu. Bon, soyons honnête, c’est loin d’être
désagréable… Mais ça a un côté frustrant.
Je tente de lui
faire un sourire pour qu’elle me lâche un peu et qu’elle s’en aille sans en
demander plus.
« -Je peux prendre une photo ?
- Non, pas de photo, désolé. »
Mais qu’est-ce qui m’a pris d’accepter de faire cette
dédicace ? Les fans sont vraiment désespérants. Je suis sûr que sur tous
ceux venus ici aujourd’hui, seulement la moitié d’entre eux liront ce bouquin
en entier, et parmi eux seuls le quart comprendront mes poèmes.
Je continue mes signatures nonchalamment en comptant les
minutes et en supportant les flashs qui arrivent d’un peu partout. Jusqu’à ce
qu’une voix me fasse sortir de ma léthargie.
« Alors, on s’est mis à la poésie ? »
Cette voix… Je la reconnaitrais entre mille. Presque
vingt ans que je ne l’ai pas entendue et pourtant je n’ai pas besoin de lever
les yeux pour savoir qui est en face de moi. Mon cœur s’emballe à cette idée et
lentement mes yeux se redressent pour contempler le visage d’Hélène.
« Salut Till. Ca fait un bail, hein ?
- Qu’est-ce que tu fais là ?
- Chouette accueil.
- Tu ne peux pas me reprocher d’être surpris.
- J’ai lu ton bouquin. Je te suis un peu tu sais. Tu es
devenu populaire, c’est bien. Je suis fière de toi.
- … Comment vas-tu ?
- Je vais bien. J’ai longtemps hésité avant de venir te
voir.
- Pourquoi tu es venue ?
- Il le fallait bien un jour où l’autre… Après tout, on
est toujours mariés.
- Tu veux qu’on se voie quand j’aurais fini ?
- Avec plaisir oui. Je pense qu’on a des choses à se
dire.
- Attends moi au café d’en face. J’ai bientôt terminé.
- Entendu. A tout à l’heure. »
La voir s’éloigner me fait un pincement au cœur. Hélène…
C’est incroyable que cette femme réapparaisse dans ma vie aujourd’hui. Je
regarde sa silhouette mince bouger au rythme de ses pas. Sa démarche est
assurée et ses cheveux bruns tombent en cascade sur son dos. J’ai envie de la
suivre sans attendre, cette petite fée mystérieuse. Ma femme.
« Till ?
- Oui… »
Ce qui m’énerve encore plus avec ces rencontres avec les
fans c’est qu’ils se sentent obligés de m’appeler par mon prénom. Comme si on
se connaissait depuis toujours, comme si on était potes. Ils pensent me
connaitre parce que je suis connu, comment peut-on autant se tromper ?
Encore une grosse demi-heure à griffonner mon nom sur des
pages presque blanches. Le temps est long mais c’est pour la bonne cause
parait-il. Je ne sais pas… C’est ce que dit mon éditeur.
Mes derniers admirateurs s’en vont, raccompagné par les
agents de sécurité de la librairie, et me laissent enfin libres de mes
mouvements. Je file prendre une veste, salue mes hôtes, et cours de l’autre
côté de la rue.
Je pousse la porte du café et mes yeux la trouvent
immédiatement. Sans un mot je m’approche et m’assois en face d’elle. Je la
contemple en silence, elle sourit. Elle n’a pas changé. Ses cheveux sont plus
longs, leur coupe est plus soignée, mais quelques mèches se débattent encore,
symbole d’un passé de débauche qu’elle semble ne pas avoir oublié. Ses lèvres
rouge pale, étirées en un sourire délicieux, me replongent dans ma jeunesse
oubliée et mon cœur semble prendre de l’allure.
Ses yeux fixent mon visage, mes cicatrices, mes rides,
mes cheveux très courts qui grisonnent et je me sens vieux. Pourtant, son
regard brille comme lorsqu’elle me trouvait beau.
Encore une minute s’écoule sans qu’aucune parole ne
vienne perturber cet instant ; Mais Hélène finit par ouvrir la bouche et
prononcer une phrase que je ne comprends pas de suite.
« Je suis contente d’être publiée.
- Publiée ? »
Ses yeux malicieux que quelques petites rides étaient
venues entourer se posèrent sur le Messer qu’elle avait mis en face de moi. Ses
mains aux ongles rouge cuivré vinrent tourner les pages du recueil pour s’arrêter
à la numéro 12.
Ich habe dich im Traum gesehen.
Et alors, tout me revient en mémoire.
Il est étrange de se dire que tout peut basculer en une
nuit. Que la personne à laquelle on avait juré fidélité et amour jusqu’à la fin
de nos jours peut filer en douce pour ne plus jamais revenir.
Il est étrange de ne plus croire en la personne aimée.
Tellement étrange qu’en trois ans de mariage, cette idée
ne m’avait jamais traversé l’esprit. Et pourtant…
Au fond de mon lit, dans mes draps en coton usés, je
sortis lentement de mon sommeil et tendis machinalement le bras vers l’être
aimé. Mais à la place d’un corps chaud à la peau douce, c’est un espace vide et
froid que ma main vint découvrir. J’ouvris les yeux et elle n’était pas là. Je
regardai le réveil qui indiquait 8h30. Où était-elle ? Partie préparer le
café ? Chercher les croissants ? Courir un peu ?
Je me retournai dans le lit et tentai de retrouver le
sommeil : les grasses matinées se faisaient rares en ce moment.
Malheureusement, seul, j’avais du mal à retrouver le chemin de Morphée et au
bout de quelques minutes à ruminer dans mon coin je perdis patience et me levai
mollement, énervé de savoir que ce n’était pas non plus ce matin que je
pourrais rattraper mon sommeil en retard.
Je trainai les pieds jusqu’à la cuisine où je me fis couler
un long café noir, et allumai la radio pour entendre les nouvelles du jour.
Cela faisait à peine quelques mois que le mur de Berlin était tombé et il me fallait
un certain temps d’adaptation pour me rendre compte de ce qu’il s’était passé
dans le monde durant ces dernières décennies.
Je m’affalai sur le canapé du salon et posai ma tasse sur
la table basse avant de remarquer que sur celle-ci se trouvait une petite boite
interdite que je connaissais bien. La curiosité me piqua et je m’interrogeai :
Qu’est-ce qu’elle faisait là ? Pourquoi ? Et où était Hélène ?
Je me relevai de mon canapé et la cherchai dans toutes les pièces, en vain.
Dehors, sa voiture n’était plus dans la rue, et je commençais à m’inquiéter. De
retour dans le salon mes yeux se reposèrent sur la boite rouge.
Ce petit coffre renfermait tout ce qu’Hélène n’avait
jamais voulu me dévoiler depuis notre rencontre. Dedans se cachaient des poèmes
qu’elle avait écrit au fur et à mesure de sa vie, avant et après notre
rencontre. Elle disait y avoir dévoilé son âme et découvert sa folie. Mais
jamais elle ne m’avait laissé les lires. Il faut dire que je n’avais pas une
âme de poète et que je m’étais toujours moqué de ce genre d’écriture, préférant
de loin les récits francs sans métaphores et rimes idiotes. Mais elle savait
que j’aurais aimé lire ses poèmes et c’est probablement pour cette raison
qu’elle les avait laissés à découvert aujourd’hui.
Je m’approchai, hésitai un peu. Je m’installai à nouveau
sur le canapé et terminai mon café d’un air nonchalant, écoutant d’abord la fin
des informations avant de me repencher sur cette petite boite rouge. Je
l’ouvris sans peine et attrapai le premier poème. L’écriture était soignée et
l’encre était un peu abimée, il devait dater de quelques années.
« L’ombre
d’une fleur tu es
La fleur, elle, est bien cachée
La fleur, elle, est bien cachée
Mais l’ombre est
bien plus visible
Et je demeure
invisible. »
Seulement quatre vers mais ils me troublèrent un peu. Je
continuai dans mes lectures et découvris de nombreux poèmes à base de
« Tu » et de « je ». Quelques « nous » de temps
en temps, mais je ne parvins pas à comprendre de qui il s’agissait, à qui elle
s’adressait. Au bout d’une vingtaine de poèmes, un, simplement nommé « Toi
et moi » vint éclaircir mes pensées.
« Tu es
l’extérieur aguicheur
Qui jamais des
autres n’a peur
Autour de toi on te
nomme belle, rebelle,
Au fond se cache
une vérité cruelle
Je suis l’être
peureux,
Le vrai qui tremble
un peu
A l’idée de me
montrer sous un jour nouveau
Quand le courage
viendra de te faire ce cadeau,
Alors, toi et moi
vivrons en harmonie
Une unique personne
pour la vie. »
Ce texte me frappa de plein fouet, mais je dus le relire
plusieurs fois avant d’admettre son sens : Ma femme, schizophrène ?
Non… Non. C’était juste des poèmes…
Je rangeai celui-ci dans un coin et pris le prochain
entre mes doigts. Il s’intitulait « deux en un ». Je ne pris même pas
la peine de le lire et attrapait le suivant, puis le suivant, puis un autre et
encore un.
Tous relataient la double personnalité de mon épouse.
« Tu » était la personne qu’elle semblait être au regard du monde
extérieur, et le « je » était la personne nichée au fond d’elle et
qui n’aspirait qu’à sortir. Puis vint le «Il »… Moi.
« Depuis son
arrivée dans notre vie,
Nous avons une
troisième compagnie
Homme solide aux
épaules larges
Plutôt drôle, au
fond un peu barge
Il t’aime sans t’en
demander plus
Son affection est
un virus
Il monopolise ton
esprit,
Comme moi jadis au
fond de ton lit
Je dois avouer, non
sans mal
Qu’il te plait cet
animal
Dans ses bras tu te
complais
Et ainsi je
disparais. »
Je passai aux textes suivants et constatai avec une
pointe de gêne que le « je » avait disparu de ses poèmes dès lors que
j’étais entré dans sa vie. Je l’avais changée.
Je ne savais pas comment je devais le prendre, je pensais
que l’avoir guéri de sa schizophrénie était une bonne chose, mais au fond de
moi je sentais une pointe de crainte prendre le dessus. Avais-je vraiment été
un vaccin ?
Je continuai ma lecture, persuadé de trouver la réponse
noire sur blanc dans les feuilles suivantes, mais rien. Uniquement des poèmes à
base de « il » et de «tu ».
Je fus forcé de constater un peu malgré moi que la
deuxième personne était toujours présente et n’était pas devenue
« je » comme on aurait pu s’y attendre si la personnalité d’Hélène
était redevenue stable et unique.
J’enchainais les poèmes et bientôt j’eu le dernier en
main. Il était daté de plus d’un an auparavant et je ressentis une certaine
frustration qu’il n’ait pas été plus récent. De plus il était assez banal, dans
la lignée des autres. Il racontait notre vie de jeunes mariés et une certaine
nostalgie émanait de ces vers.
Je rangeais la centaine de papiers dans la petite boite
rouge en prenant soin de les laisser dans l’ordre, et me levai pour attendre ma
femme qui commençait à me manquer douloureusement.
L’heure tournait et la patience me manquait, je faisais
les cents pas, sortais, rentrais, me baladais d’un coin à l’autre de la maison.
Je décidai de prendre une douche pour me calmer un peu, puis traversai ma
chambre, une serviette autour de la taille, pour ouvrir mon dressing et choisir
une tenue qu’Hélène affectionnait particulièrement. Sauf que mon cœur s’arrêta
avant que je ne la trouve.
Dans le placard, la moitié des affaires manquait. Les
vêtements de ma femme, ainsi que la grande valise que sa mère lui avait offerte
pour notre voyage de noces.
Hélène était partie.
Sans bruit, dans la nuit, ma femme m’avait quitté.
Je me laissai tomber sur le lit et c’est à cet instant
que je remarquai un petit papier, semblable à ceux de la boite rouge, posé sur
la table de nuit.
Je le pris et lu le dernier poème qu’elle m’ait laissé –
le dernier qu’elle ait écrit et, dans un style complètement différent, de loin
le meilleur. Le « je » était de retour.
« Je t’ai
aperçu en rêve
par une nuit claire sur mon lit dur
je me débattais avec ce mauvais rêve
mes lourdes semelles étaient de plomb
l’être m’incitant la peur me frôle rapidement
et mûri en envie, il devient fou
interpelant toutes les bonnes femmes par ton nom
et je ne me réveille plus
pourquoi la Terre s’affaisse t-elle ?
mes doigts se crispent dans la boue
quand il m’envoie vigoureusement
son pied dans la figure
L’épuisement me scie les doigts
il m’enfonce violemment les côtes
m’arrache un tressaillement des lèvres
ligoté à un reste de vie
il me jette des miettes de pitié en pâture
il me domine victorieusement
rit et me parle de toi
lorsque toute jeune encore
tu étais à l’autel
et t’unissais à lui devant mes yeux
dire que je pensais que tu m’attendrais
je sors de ce sommeil si perturbé
regrettant de ne pas être mort pendant ce rêve »
par une nuit claire sur mon lit dur
je me débattais avec ce mauvais rêve
mes lourdes semelles étaient de plomb
l’être m’incitant la peur me frôle rapidement
et mûri en envie, il devient fou
interpelant toutes les bonnes femmes par ton nom
et je ne me réveille plus
pourquoi la Terre s’affaisse t-elle ?
mes doigts se crispent dans la boue
quand il m’envoie vigoureusement
son pied dans la figure
L’épuisement me scie les doigts
il m’enfonce violemment les côtes
m’arrache un tressaillement des lèvres
ligoté à un reste de vie
il me jette des miettes de pitié en pâture
il me domine victorieusement
rit et me parle de toi
lorsque toute jeune encore
tu étais à l’autel
et t’unissais à lui devant mes yeux
dire que je pensais que tu m’attendrais
je sors de ce sommeil si perturbé
regrettant de ne pas être mort pendant ce rêve »
« Je suis désolée d’être partie sans rien dire.
- Si j’avais été un bon mari, tu ne serais pas partie. Tu
n’aurais pas eu… peur de moi.
- Tu crois qu’il s’agit de ça ?
- C’est assez explicite non ? « l’être m’incitant la peur me frôle
rapidement, et mûri en envie, il devient fou, interpelant toutes les bonnes
femmes par ton nom… » « il me domine victorieusement, rit et me
parle de toi, lorsque toute jeune encore tu étais à l’autel et t’unissais à lui
devant mes yeux »… Je te
faisais peur.
- Tu terrifiais une partie de moi seulement. J’étais
malade, tu dois le savoir maintenant. Tu as été un remède durant plusieurs
années, j’étais bien avec toi. Et puis la maladie a fini par l’emporter. C’est
pour ça que je suis partie. Je suis désolée.
- Ne t’en fais pas pour ça… »
Cela faisait des années que j’en rêvais. Des années que
je souhaitais revoir Hélène pour lui balancer tout ce que j’avais sur le cœur
et lui faire autant de mal qu’elle avait pu m’en faire. Des années que la
douleur de cet amour n’attendait qu’à être violemment expulsée au visage de
celle qui en était responsable. Mais maintenant qu’elle était là, en face de
moi, les yeux levés vers les miens et un demi-sourire sur ses lèvres, je ne
souhaitais plus qu’une chose : la prendre dans mes bras.